Avec l’arrivée de nouveaux auteurs et l’édition de titres importants de poètes reconnus, les ventes de livres de poésie augmentent depuis plus de 2 ans. Et phénomène nouveau, les plus jeunes lecteurs s’y intéressent de plus en plus. « Y a-t-il un reboom de la poésie québécoise? » C’est la question que se posait le journal Le Devoir en juillet 2019.

Pour s’initier ou (re)découvrir ce genre littéraire, Antoine Boisclair, professeur de français, nous propose son choix de 10 livres de poésie québécoise incontournables. Pour lui, « faire un choix, c’est toujours un exercice périlleux… mais amusant! »

Antoine Boisclair, professeur de français dans le programme ALC

L’Homme rapaillé  de Gaston Miron

« L’homme rapaillé », Gaston Miron, Typo poésie

Ce livre publié en 1971, réédité ensuite à plusieurs reprises, traduit dans plusieurs langues, admiré autant par les lecteurs aguerris que par les néophytes, évoque un double destin : celui d’un homme à la recherche d’unité amoureuse et celui d’une nation incertaine d’elle-même, le Québec, en proie à différentes formes d’aliénation.

À la quête de la femme aimée se superpose ici la quête du pays, se dessine un projet de « rapatriement » qui touche l’individu autant que la collectivité.

L’Homme rapaillé est un grand recueil, universel et intemporel, incontournable pour quiconque s’intéresse à la littérature québécoise.


Regards et jeux dans l’espace  de Saint-Denys Garneau

« Regards et jeux dans l’espace » de Hector de Saint-Denys Garneau, Typo poésie

C’est en 1937 qu’Hector de Saint-Denys Garneau a fait paraître ce livre qui constitue aux yeux de plusieurs lecteurs l’entrée de la poésie québécoise dans la modernité.

La conscience métaphysique, l’emploi du vers libre et la manière de réactualiser certains thèmes issus de la tradition canadienne-française comme l’hiver ou le paysage : tout est nouveau dans ce livre, tout nous parle encore. Regards et jeux dans l’espace évoquent la beauté des arbres, l’imagination de l’enfant, la solitude associée aux longs jours d’hiver.

Les thèmes qu’il aborde et la conception du sujet qui se dégage de l’ensemble ont particulièrement bien vieilli.


Le Tombeau des rois  d’Anne Hébert

« Le tombeau des rois » d’Anne Hébert, couverture originale du recueil édité à compte d’auteur aux Éditions de l’Institut littéraire

Anne Hébert, petite cousine de Saint-Denys Garneau, romancière et dramaturge, a fait paraître ce livre en 1953, à une époque qualifiée de Grande Noirceur. Il y est question d’une conscience libre d’explorer ses désirs, affranchie du surmoi catholique; d’une conscience peuplée de songes, riche et profonde comme un tombeau.

Dans ce recueil, la jeune écrivaine développe un imaginaire baroque où se croisent différentes mythologies, un imaginaire onirique qui permet à la poésie d’explorer des territoires inconnus, à la fois inquiétants et fabuleux.

Le style sec et précis d’Anne Hébert a été souvent imité par la suite, mais il n’a jamais été vraiment égalé.


Poésies complètes  d’Émile Nelligan

Poésies complètes, Émile Nelligan, Biblio Fides

On aurait tort de considérer Émile Nelligan comme un simple épigone de Baudelaire ou de Rimbaud : ses poèmes sont évidemment d’inspiration symboliste, mais les thèmes qu’ils explorent ont une saveur typiquement québécoise.

Cette figure emblématique de l’aliénation canadienne-française, « génie incompris » par excellence, adolescent prodige (il a écrit ses poèmes importants vers l’âge de dix-sept ans) nous a appris à voir la beauté des « soirs d’hiver » et des « jardins de givre ». Un classique de la culture québécoise.


Moments fragiles de Jacques Brault

« Moments fragiles », Jacques Brault, Le Noroît

Poète intellectuel, critique littéraire et spécialiste de la littérature médiévale, Jacques Brault est associé à la poésie de la Révolution tranquille (son recueil intitulé Mémoire constitue un moment fort de cette période), mais aussi à la littérature intimiste des années 1980.

Dans Moments fragiles (1984), Brault opte pour la brièveté, exploite un style qui évoque parfois l’esprit du haïku japonais pour développer des thèmes en lien avec la mélancolie, l’absence de l’autre, la solitude. Une ambiance grisâtre et automnale traverse les poèmes de ce recueil qui sonne toujours juste.


Le vierge incendié  de Paul-Marie Lapointe

« Le vierge incendié », Paul-Marie Lapointe, Typo poésie

Un jeune homme de 19 ans est à l’origine de ce recueil avant-gardiste publié la même année que Refus global.

Véritable cri de révolte, Le vierge incendié est sans doute l’œuvre d’inspiration surréaliste la plus accomplie ayant été publiée au Québec, non pas nécessairement la plus achevée (Paul-Marie Lapointe privilégie en partie l’écriture automatique), mais très certainement la plus spontanée.

Le pouvoir de l’image transcende ici la Grande Noirceur; l’écriture improvisée qui s’inspire du jazz établit des rapprochements inusités, parfois absurdes mais très souvent éblouissants. Un recueil mythique.


Les Murs de la grotte  d’Hélène Dorion

« Les Murs de la grotte », Hélène Dorion, Clepsydre, Éditions de la différence

Dans Les Murs de la grotte (1998), Hélène Dorion hisse la poésie québécoise à une hauteur de ton peu commune.

Ce recueil à la fois sobre et ambitieux, résolument universel, intemporel, postmoderne, entreprend un dialogue avec les penseurs présocratiques, avec la naissance de la philosophie grecque (les « murs de la grotte » font en partie référence aux parois de la caverne platonicienne) et de la pensée occidentale.

Les poèmes s’intéressent au commencement du monde, aux premiers balbutiements de la conscience. Il en résulte une poésie sans âge, riche, profonde, abstraite sans être difficile à lire.


Le Paradis des apparences  de Robert Melançon

Ces poèmes « réalistes » (c’est le terme que l’auteur emploie pour qualifier son travail) reposent sur des événements minuscules : un écureuil qui marche sur un fil électrique, un mendiant qui tend sa casquette, un coucher de soleil qui fait penser à la fin d’un épisode de Lucky Luke…

Avec ses « sonnets allégés », Robert Melançon nous apprend à voir l’espace urbain différemment, à jouir esthétiquement, souvent à la manière d’un peintre ou d’un dessinateur, des phénomènes sensibles que les obligations quotidiennes nous empêchent d’apprécier.

Ce livre paru en 2004, très achevé d’un point de vue formel, est teinté d’humour, agréable à lire, intelligent et généreux. Il peut nous accompagner toute une vie.


Plus haut que les flammes de Louise Dupré

« Plus haut que les flammes », Louise Dupré, Éditions du Noroît

Aucun poète francophone du Québec ne s’était attardé aussi longuement à la Shoah avant Louise Dupré.

Dans ce recueil qui s’avère en fin de compte un long poème, un long chant, l’auteure évoque une visite effectuée sur le site d’Auschwitz, visite dont on ne revient pas indemne pour peu qu’on fasse preuve d’empathie. Pourquoi le mal existe-t-il ? Comment croire en ce monde ou croire en l’homme après avoir pris la juste mesure de l’horreur absolue ?

Paru en 2010, Plus haut que les flammes est un livre dont la portée universelle ne fait aucun doute. L’écriture est ici confrontée à l’incommunicabilité, à la pauvreté du langage, mais la voix qui se fait entendre demeure limpide et lumineuse.

Un livre salué ici comme ailleurs dans la francophonie.


Poèmes de François-Xavier Garneau

« Poèmes » François-Xavier Garneau, Éditions Nota bene

Il ne s’agit pas d’un recueil proprement dit; durant les années 1830 et 1840, les conditions sociales n’étaient pas encore réunies pour qu’un jeune intellectuel canadien-français publie un livre.

Il n’empêche que les poèmes de François-Xavier Garneau, parus dans les journaux de l’époque et réunis par la suite, constituent le premier véritable effort poétique issu de la culture francophone en Amérique.

Influencé par les romantismes américain et européen, Garneau met en place des thèmes, dont celui de la survivance, qui marqueront plusieurs auteurs par la suite. En contredisant Lord Durham, pour qui les Canadiens français formaient un peuple sans culture ni littérature, l’auteur de la grande Histoire du Canada a pour ainsi dire donné une voix à tout un peuple.