Nous vous présentons une partie des textes lus lors de la cérémonie de la 31e édition concours Philosopher, ainsi que les dissertations des six lauréats sur le sujet : « La popularité est-elle la nouvelle autorité? »

La chance et le privilège de pouvoir philosopher

Lorsqu’on regarde l’ensemble de la condition humaine sur la planète, on prend conscience que de vivre dans un pays développé nous permet non seulement d’avoir une vie plus aisée, mais cela nous permet également d’accéder au savoir dans des institutions de qualité. Nous avons la chance de pouvoir étudier ou enseigner, nous avons la chance et le privilège de pouvoir philosopher.  

En effet, philosopher est un privilège et vous avez eu le réflexe de sauter sur l’occasion et de faire plus que de suivre vos cours obligatoires. Je vous lève mon chapeau. Le concours Philosopher est un beau complément aux cours que vous avez suivis ou que vous suivez présentement.  

Mais de quel privilège parle-t-on? Il y avait ici au Collège un vieux sage qui avait enseigné la philosophie durant 27 ans et qui fut ensuite président du conseil, le Père Roger Marcotte jésuite, un esprit libre. Je lui avais demandé de résumer la philosophie en une phrase et il m’avait répondu : « Apprendre à poser une question, une vraie question ». Apprendre à questionner une réalité, quelle qu’elle soit. Que ce soit une réalité humaine, naturelle, sociale ou technique; de l’érosion des berges aux Îles-de-la-Madeleine jusqu’à l’intelligence artificielle en passant par la prostitution des mineurs. On peut même se demander si, dans notre monde d’aujourd’hui, la popularité est la nouvelle autorité.  

La philosophie, à travers la maîtrise de diverses habiletés intellectuelles  (conceptualiser, problématiser, analyser, juger, critiquer et synthétiser) permet, pour citer la Déclaration de Paris « de contribuer à la compréhension et à la conduite des affaires humaines et contribuer à former des citoyens réfléchis et libres » et j’ajouterais d’un point de vue éthique, des citoyens responsables.  

François Morissette, conseiller à la vie étudiante au Collège Brébeuf

Devant une société qui carbure aux divertissements et dont le rythme empêche souvent de s’arrêter pour s’approprier son existence, on réalise l’importance de l’intériorité. L’intériorité peut prendre des formes multiples (rationalité, spiritualité, yoga ou tai-chi), mais la philosophie peut contribuer à développer son intériorité. Elle contribue à transformer son vécu en expérience, en favorisant un retour sur soi. 

La philosophie est une expérience de lucidité et de liberté. Cet amour de la sagesse ne doit pas demeurer seulement un jeu intellectuel. S’il est vrai, comme le dit Hegel, que « la chouette de Minerve ne s’envole qu’à la tombée de la nuit », c’est afin de pouvoir s’arrêter sur la réalité, sur notre vécu et de faire le point; afin que la raison serve la sagesse et éventuellement la vie heureuse. 

Olivier Dionne, professeur de philosophie au Collège Brébeuf, présente les trois lauréats en 3e position

Gabriel Vidal Herrera (pseudonyme : Platonov) du Cégep de Saint-Laurent, Une autorité qui se quantifie
Tuteur : Pierre-Alexandre Fradet, professeur de philosophie

Dans son texte intitulé Une autorité qui se quantifie, Gabriel Vidal Herrera nous propose de répondre à cette question en tenant compte des traits caractéristiques les plus importants du monde d’aujourd’hui : une société organisée sur des bases économiques capitalistes où les rapports sociaux de plus en plus virtuels se réduisent bien souvent à des rapports de consommation marchande : autrefois, peut-être, citoyen, l’individu d’aujourd’hui est à la fois client et consommateur et se perd bien souvent dans la masse, malgré lui!

Dans un tel contexte, nous assistons effectivement à une identification croissante et spectaculaire de la popularité et de l’autorité.

L’auteur nous montre comment, dans toutes les sphères de l’existence, de la manière de s’habiller jusqu’à la manière de s’indigner en passant par les opinions politiques dominantes, l’autorité repose sur la popularité, et qu’elle est comme telle quantifiable.

Olivier Dionne, professeur de philosophie au Collège Brébeuf

Je cite : « L’autorité est un concept mesurable qualitativement comme quantitativement – c’est le nombre de sujets qui reconnaissent un individu ou un discours comme porteur d’une autorité immanente, et c’est le degré d’identification que ces sujets manifestent envers cet individu ou discours qui donne étendue et profondeur à son autorité ». 

Nicolas Kamran (pseudonyme : Mont Davamand) du Collège Brébeuf, Casquettes et autorité
Tuteur : Martin Desrosiers, professeur de philosophie

Dans son texte intitulé Casquettes et autorité, Nicolas Kamran s’interroge avec Guy Debord et Jean Baudrillard sur le rôle de la marchandise dans nos sociétés capitalistes de consommation.  Bien que la notion de popularité ne soit pas explicitement thématisée par l’auteur, celle-ci détermine le rapport fondamental que des masses d’individus de tous les niveaux socio-économiques entretiennent face à la marchandise dans les sociétés de consommation. En effet, par sa popularité irrésistible, entretenue notamment par le système publicitaire au service du capital et de la classe dominante, la marchandise constitue l’autorité suprême de la société de consommation.

La thèse de M. Kamran consiste alors à démontrer les effets déshumanisants de l’autorité de la marchandise sur la construction des identités individuelles : d’une part, en façonnant son identité par la consommation ostentatoire de produits fabriqués, l’individu s’aliène, devient étranger à lui-même parce qu’il renonce à toute qualité personnelle pour s’identifier : il renonce à son être pour se concentrer sur l’avoir.

Olivier Dionne, professeur de philosophie au Collège Brébeuf

D’autre part, en s’identifiant au statut social des plus riches par la consommation de marchandise rare et désirable – les objets de luxe – l’individu reconnaît et accepte l’autorité de la classe dominante et la hiérarchie mise en place. Dans nos sociétés capitalistes où le travail des uns est exploité au service de l’intérêt des autres, on constate alors que l’individu qui consomme soutient et donne son assentiment au mécanisme de sa propre exploitation capitaliste.   

En bref, M. Kamran propose une mise en garde concernant l’autorité accordée à la marchandise dans les processus de formation de l’identité personnelle.

Joséphine Farndon (pseudonyme : Hérésie) du Cégep du Vieux Montréal, L’homme, pion de l’opinion 
Tuteur : Tony Patoine, professeur de philosophie

Pour Joséphine Farndon, au 21e siècle, tout porte à croire que la popularité est effectivement la nouvelle autorité. Ne vivons-nous pas dans l’ère des médias, des réseaux sociaux, des influenceurs et de la politique spectacle? Ne vivons-nous pas au temps des « likes » et de la post-vérité, où les faits objectifs ont moins d’influence que les appels à l’émotion et aux opinions personnelles pour modeler l’opinion publique?

Malgré cela nous dit-elle, pour que la popularité puisse être effectivement la nouvelle autorité, encore faut-il que ces deux réalités soient réellement dissociables, ce qu’elles ne sont pas! En se basant sur les 3 formes d’autorité telles que définies par le sociologue Max Weber (charismatique, traditionnelle et légale-rationnelle), Joséphine Farndon nous montre habilement comment chacune d’elles implique la présence de la popularité.

En se référant tour à tour à l’art oratoire des sophistes de l’Antiquité, à l’autorité du savoir philosophique soutenu par Platon, à celles du pouvoir monarchique et de la religion, elle réussit à nous convaincre que la popularité est un élément constitutif de chaque forme d’autorité.

Olivier Dionne, professeur de philosophie au Collège Brébeuf

Que la popularité ne soit pas en définitive une nouvelle forme d’autorité, cela ne l’empêche pas de réfléchir et nous mettre en garde contre la forme que revêt cette dyade en 2021. Aujourd’hui, dit-elle, nous nous retrouvons « face à un monde où l’autorité est basée sur l’opinion et les émotions, elles-mêmes popularisées et manipulées par les médias et les élites dirigeantes ». Notre idéal de la démocratie est rudement mis à mal, et parmi les choses à faire pour lui redonner de la vigueur, il est grand temps de réinvestir dans la sphère publique, miser sur l’éducation et contrer les paradis fiscaux.

Anastassia Depauld, professeure de philosophie au Collège Brébeuf, présente les deux lauréats en 2e position

Edgar Dagenais-Martin (pseudonyme : Azarie) du Collège Sainte-Anne de Lachine, Gouverner sans popularité, une utopie?
Tuteur : Marc-Antoine Dubé, professeur de philosophie

Lorsque nous avons choisis la question pour ce concours, en 2019, on ne pouvait pas savoir ce que l’avenir allait nous réserver. Nous avions formulé la question avec peut-être certaines idées en tête, mais la pandémie et les divers évènements qu’elle a engendrés à donner un nouveau sens à notre question, la rendant surement plus juste et plus pertinente.

C’est donc sans surprise que certains d’entre vous ont choisi d’aborder cette question sous l’angle de la pandémie. C’est le cas de ce premier texte que je vais vous présenter aujourd’hui, qui se démarque, tout d’abord, par une très belle actualisation de la question. Le texte donne le ton et commence avec l’appel de François Legault aux « Leaders » de notre société au début du confinement.

S’ensuit une très bonne problématisation qui utilise différentes figures historiques pour préciser les liens entre autorité et popularité. D’ailleurs, l’auteur ne manque pas de citer Socrate, une comparaison bien appréciée et oserai-je dire, populaire des professeurs de philosophie. Ce sont ensuite différents philosophes qui vont venir aider l’auteur à répondre à la question : John Stuart Mill, Machiavel, et même Nietzsche, je vous cite un extrait :

« Le titre d’influenceur est intrinsèquement ironique. On ne sait plus qui influence et qui est influencé : est-ce l’influenceur qui modifie le cours des vies de son auditoire, ou les spectateurs qui déterminent les mouvements du chef d’orchestre? Lorsque le principal but des influenceurs est de conserver leur statut en se soumettant aux demandes sensationnalistes de leurs fans, ces influenceurs sont éventuellement enchaînés aux idéaux que promeuvent leurs partisans; aux nouvelles tendances; à leur quête d’une popularité toujours grandissante. Le chef d’orchestre n’est finalement que le jouet de son public : un être d’exception tyrannisé par la majorité, tel que proposé par Friedrich Nietzsche. »

Au-delà d’une belle maîtrise du contenu, c’est aussi un texte d’une grande clarté avec des exemples toujours pertinents. Bref, un vrai plaisir à la lecture.

Song Ling Chen (pseudonyme : Helium) du Collège Marianopolis, Mob Rule: Popularity as Authority in the Past, the Present and Possibly the Future
Tutrice : Veronica Ponce, professeure de philosophie

Le second texte se démarque par son approche historique approfondie. Il se charge d’analyser différentes périodes de l’histoire pour souligner que la popularité était déjà une forme d’autorité dans le passé, mais à quel point les médias sociaux permettent aujourd’hui de renforcer la place de la popularité au détriment de la raison. Il fait référence aux sophistes et la démocratie grecque, à l’église catholique durant le moyen âge, la Révolution française ou bien sûr, notre époque contemporaine avec notre sophiste préféré : Donald Trump. Le texte met de l’avant comment aujourd’hui la popularité a gagné les gouvernements. Je cite :  

« Endorsement by celebrities is extremely beneficial to political parties as they influence their supporters to also think positively of it. Barack Obama has even been “referred to as ‘the first celebrity president’”22. The increasing importance of gaining popularity during a political campaign reveals that popularity is indeed a form of authority. The opinion of the people is weighting more and more in the eyes of politicians and one might ask if reason has any place in today’s government. »  

Encore une fois, il s’agit d’un texte d’une grande clarté, usant de nombreuses citations et de nombreuses références contemporaines. C’est à la fois un travail historique et philosophique. C’est une très belle et complète analyse de la question. 

Éric Riendeau-Fontaine, professeur de philosophie au Collège Brébeuf, présente la lauréate du concours Philosopher 2020-2021

Anne-Esmée Fortin (pseudonyme : Wasabi) du Cégep de Granby 
Tuteur : Philippe Charlebois, professeur de philosophie   

Avec le pseudonyme le plus populaire des condiments japonais, nous savions d’ores et déjà que nous serions servis avec autorité. Être élu grâce au nombre de likes, son titre, cible également sans failles les concepts d’autorité et de popularité de notre question.

En débutant par les réflexions de l’apatride Arendt, en passant la jeune philosophe italienne Origgi ainsi que l’allemand Rosa, sans oublier un détour par le français Descartes, Anne-Esmée Fortin a su brosser tout un parcours original et créatif en s’inspirant même d’Adèle Van Reeth de France Culture.

Éric Riendeau-Fontaine, professeur de philosophie au Collège Brébeuf

Bref, il s’agit d’un texte qui répond directement à la question avec une lucidité inspirante. Un regard ouvert qui n’hésite pas à sortir des sentiers battus.