L’illusion postmoderne? Réflexions sur l’évanescence d’un concept en arts visuels – Éditions Varia – Mavrikakis, Nicolas; Vernet, Laurent; Boulanger, Chantal

L’ouvrage L’illusion postmoderne? propose des regards croisés de chercheurs et d’artistes sur l’héritage de la postmodernité en arts visuels dans les enjeux esthétiques et théoriques actuels. À l’occasion de la publication de cet ouvrage collectif, nous nous sommes entretenus avec Nicolas Mavrikakis, professeur au Collège Brébeuf et l’un des trois auteurs à l’origine de ce livre.

Par Vincent Wallon

Écrire par plaisir, pour raconter l’histoire et se souvenir

Nicolas Mavrikakis aime écrire. Depuis quatre années, il est critique d’art au journal Le Devoir et a travaillé à l’hebdomadaire Voir pendant 15 ans. Il est aussi auteur d’ouvrages, entre autres :

  • La peur de l’image. D’hier à aujourd’hui, où il s’interroge sur une conception qui veut que l’image contemporaine soit « toute-puissante et manipulatrice à l’endroit d’un spectateur dit idiot »;
  • Une biographie sur Pierre Théberge, qui a été notamment directeur du Musée des beaux-arts de Montréal et du Musée des beaux-arts du Canada.

En participant à l’écriture de L’illusion postmoderne?, il souhaitait également rendre hommage à René Payant, qui a été son professeur d’histoire et de théorie de l’art à l’Université de Montréal, et qui était aussi critique d’art, comme lui.

Enfin, un de ses objectifs est aussi d’écrire des ouvrages historiques parce qu’il a l’impression « qu’au Québec et au Canada, on n’a pas de mémoire ».

Contrairement à l’Europe, « j’ai l’impression que mes étudiants ne connaissent pas du tout l’Histoire… C’est pour cela que je tiens à écrire ou participer à des livres où j’essaie de raconter l’Histoire aux Québécois et aux Canadiens ». Nicolas Mavrikakis

Quatre ans de travail, une subvention pour l’écriture et des invités

Nicolas Mavrikakis et deux de ses amis, Chantal Boulanger, historienne de l’art et autrice et Laurent Vernet qui s’est occupé entre autres de la collection d’art public à Montréal, ont décidé de réfléchir ensemble et avec d’autres invités sur le concept de postmodernité.

« Dans les années 80 et 90, tout le monde parlait de postmodernité. On s’est demandé si cela avait été une mode. » – Nicolas Mavrikakis

Les trois auteurs de L’illusion post moderne? ont écrit chacun leurs textes et ont invité près d’une vingtaine de chercheurs et d’artistes de différentes générations et de différents pays (France, Pays-Bas, Royaume-Uni).

On peut citer entre autres, Chantal Pontbriand qui a dirigé la revue Parachute, extrêmement importante en art contemporain, Christine Ross de l’Université McGill, universitaire canadienne spécialisée dans les arts médiatiques contemporains, ou Julian Stallabrass, historien de l’art britannique, photographe et conservateur. Parmi les artistes, il faut souligner la participation de l’illustrateur de l’ouvrage : Clément de Gaulejac.

Le postmodernisme, toujours d’actualité

Pour Nicolas Mavrikakis, le concept est toujours aussi valable dans le domaine des arts visuels, le domaine d’étude du livre. Il précise qu’en littérature, il n’a pas eu le même impact alors qu’en architecture, il a été « d’une importance considérable ».

Aujourd’hui, le mot postmoderne est encore utilisé pour décrire la période actuelle. Quand il écrit dans Le Devoir, il emploie toujours ce mot. M. Mavrikakis pense « qu’il a encore sa pertinence », même si certaines personnes du domaine des arts pensent que l’on n’est plus dans cette postmodernité.

En arts visuels, parler d’art contemporain est pour lui « un peu un fourre-tout ». Alors que dans le postmoderne, « il y a des concepts qui sont rattachés à cela ».

Notamment dans les années 70, Jean-François Lyotard, un des philosophes qui a élaboré le concept de postmodernité, dit que la culture va devenir une marchandise.

« En 1978, Jean-François Lyotard disait déjà que les États allaient perdre le contrôle sur la communication, l’information et la culture et que ces domaines deviendraient des marchandises. » Nicolas Mavrikakis

C’est tout à fait ce l’on peut observer en ce moment, plus de 40 ans après l’avoir énoncé.

Par ailleurs, Nicolas Mavrikakis souligne que la postmodernité, des années 70-80 marquées par la fin des illusions et des utopies politiques, est de son point de vue porteuse d’espoir. « On pensait à un moment que l’on pouvait changer le monde, mais la postmodernité, c’est aussi l’idée que l’on va se replier sur du micro-politique, sur des rapports à plus petite échelle, sur des interventions de quartier. Même l’artiste devra intervenir à l’échelle locale. On verra un activisme limité, mais plus intelligent », précise-t-il.

Créer, développer et valoriser les arts en périphérie des grands centres

Pour Nicolas Mavrikakis, l’héritage du postmodernisme c’est aussi arriver à « lutter contre l’internationalisation qui unifie tout comme un rouleau compresseur ».

Pour lui, c’est la question du moment : comment s’intéresser et développer une « scène locale, en périphérie des centres » qui soit vivante et qui ne soit pas absorbée par de grandes métropoles? Comment mettre en lumière cette scène artistique? Pour lui, c’est l’enjeu d’aujourd’hui.

« Surtout au Québec, New York qui est très proche. Tout ce que l’on fait se fait en référence avec ce qui se fait aux États-Unis. Par exemple, on va célébrer Xavier Dolan parce qu’il est connu à l’étranger. Il se demande si l’inverse pourrait être vrai. « Il faut en finir avec ce colonialisme, même si l’on reste ouvert à ce qui se passe dans le monde », affirme-t-il.

Il fait le constat : « On n’est même pas capables de faire des liens avec des régions qui sont comme nous en périphérie. Combien de livres sont publiés dans des régions du monde et dont on ne connait même pas l’existence et qui ne sont jamais traduits? Je suis fasciné de voir qu’en Italie, les librairies sont encore nombreuses et qu’il existe encore une culture italienne qui continue de se battre en publiant des ouvrages dont on ne parle pas. »

L’après-pandémie : continuer ou pas comme avant?

« J’ai eu des débats avec des gens qui m’ont dit : “toi tu vas être content, la pandémie va nous apprendre à consommer local en termes de produit mais aussi en termes de culture”. J’espère que cela sera vrai, mais j’ai des doutes. J’ai peur qu’après la pandémie on recommande des produits qui viennent de l’autre bout de la planète, que l’on achète sur Amazon, plutôt que dans sa librairie de quartier. »

Même si les musées parlent de présenter des artistes de proximité, il pense « que sur le long terme cela redevienne comme avant. Depuis une vingtaine d’années, nos musées comme le MAC ou le MBAM ont joué la carte des artistes internationaux, plus commerciaux et qui se vendent bien auprès d’une classe riche, mais qui ne s’intéresse pas aux artistes d’ici. »