Nathalie Loignon, professeure de français, Simon Brousseau, auteur et professeur, et les étudiantes de l’atelier

Dans le cours Atelier de création littéraire de la professeure Nathalie Loignon, les étudiants du programme ALC ont eu la chance de rencontrer, d’échanger et d’écrire avec l’auteur et professeur Simon Brousseau.

Le 11 février dernier, des étudiantes ont travaillé sur la thématique de la confession, qu’elle soit réelle ou inventée.

Imagination, détails, observation, contraintes

Pendant deux heures, les étudiantes et l’auteur ont discuté sur les écrits de ce dernier, plus particulièrement le recueil de nouvelles Les fins heureuses. Nous en avons choisi quelques-unes représentatives des échanges.

Simon Brousseau et Nathalie Loignon avec le recueil de nouvelles « Les fins heureuses » – Photo : Maxime Côté

Comment faites-vous pour imaginer des histoires aussi crédibles, et avoir des conseils pour y arriver aussi?

« Probablement que [mes histoires ont] l’air vrai[es] parce que j’accorde beaucoup d’attention aux petits détails (rencontre des personnages, description de lieux, évolution des relations, etc.). Y’a juste la chute, finalement, qui est très surprenante et un peu invraisemblable […], mais tout le reste est très réaliste. » – Simon Brousseau

Pourquoi les histoires dans le recueil Les fins heureuses ont été retenues plutôt que d’autres?

Simon Brousseau : « [Ces] nouvelles, pour moi, ont tout quelque chose en commun […]. C’est pas des textes disparates que j’ai écrits à des moments différents et que j’ai décidé de rassembler. Dès le départ, j’avais un projet et chaque texte, selon moi, répond un peu à ce projet-là.

L’idée de départ, c’était les fins heureuses. […] Je voulais écrire des nouvelles qui s’éloignent de l’idée de chute traditionnelle [dans les nouvelles] avec un revirement très, très fort. L’autre lien entre les nouvelles, c’est le quotidien, la banalité. Des histoires qui, a priori, n’ont pas l’air d’avoir leur place dans un livre. […] Je pense qu’on n’a pas le réflexe d’écrire sur la vie ordinaire spontanément. »

Simon Brousseau avec les étudiantes – Photo : Maxime Côté

Y a-t-il une part de l’auteur dans chacun des personnages? M. Brousseau en avait long à dire à ce sujet .

Simon Brousseau : « Je croyais qu’écrire, c’était d’inventer des histoires. Je croyais que pour être un écrivain, il fallait faire preuve de beaucoup d’imagination. Ça me rendait triste parce que je me rendais compte que j’en ai pas beaucoup, d’imagination. J’ai l’air d’en avoir beaucoup, mais en fait je ne pense pas que j’ai plus d’imagination que la moyenne.

« Ce qui s’est passé, c’est que je suis passé d’une approche “écrivain qui invente” à “écrivain qui observe”. » – Simon Brousseau

Tous mes personnages, toutes les histoires que je raconte me sont liées parce que c’est moi qui fais des observations. J’observe le monde dans lequel je vis. [L’inspiration peut venir] de quelqu’un qui écrit quelque chose sur Twitter ou Instagram, une étudiante qui dit quelque chose en classe, un collègue, ma blonde, des gens que je rencontre par hasard.

[…] Des fois, le fond autobiographique est plus fort, des fois il est plus faible. Des fois, je prends des choses qui viennent de ma vie et je les transforme. Je dirais que c’est un peu du bricolage, mais le principe de base est l’attention. »

Des étudiantes dans le cours d’atelier de création littéraire – Photo : Maxime Côté

La période de discussion s’est terminée avec le sujet de l’imposition de contraintes lors de l’écriture.

Simon Brousseau : « Si elles peuvent être intimidantes, elles peuvent également être une étincelle de départ.

« Les contraintes, ça m’aide beaucoup. » – Simon Brousseau

Synapses, c’est un livre qui a été écrit avec des contraintes : chaque histoire est écrite au “tu”, chaque fois c’est un personnage différent, chaque paragraphe fait une seule phrase. Le cadre très rigide, on pourrait penser que ça nous empêche d’écrire, mais en fait c’est précisément le contraire. Quand j’ai commencé à écrire Synapses, j’écrivais à peu près trois fragments par jour et il y a un moment où le petit train est parti et c’est devenu comme une seconde manière de penser. Ça sortait tout seul. »

Simon Brousseau avec les étudiantes – Photo : Maxime Côté

Session d’écriture : la confession

La deuxième partie de la rencontre fut pratique avec une session d’écriture en groupe. La thématique était la confession (réelle ou inventée).

Une étudiante pendant la session d’écriture

Après avoir brièvement survolé les origines religieuses de la confession, M. Brousseau a posé une question aux étudiantes : « Pourquoi écrire une confession si on ne recherche pas l’absolution [religieuse]? Si j’écris une confession qui s’adresse aux mortels, et pas à Dieu, à quoi ça sert? »

Simon Brousseau avec les étudiantes – Photo : Maxime Côté

Ce à quoi une élève a répondu qu’elle pensait « qu’en tant qu’humain, on cherche l’approbation des autres et on cherche du réconfort. Il y en a pour qui c’est difficile de [se confesser] et que ça stresse, […] mais quand je le fais, j’ai l’impression que ça me déculpabilise. Je ne suis pas nécessairement coupable de quoi que ce soit, mais j’ai l’impression que les gens autour de moi peuvent me comprendre et ça peut enlever un sentiment de solitude. » Une excellente raison d’écrire ses confessions, selon l’auteur.

Simon Brousseau – Photo : Maxime Côté

Il a ensuite partagé avec son avis personnel :

« D’un point de vue littéraire, [la confession] est vraiment une idée importante à retenir parce que très souvent, [à mon avis] un personnage qui ne va pas susciter [l’intérêt du lecteur] va être un peu [faux] dans ses qualités et n’a pas de défauts. Il n’a pas l’air humain parce que c’est un personnage parfait.

C’est une erreur d’écriture, je crois, de créer un personnage sans réfléchir à ses faiblesses, ses problèmes. La confession permet de créer ce genre de personnages, parce que la confession nous met d’emblée dans une posture où on admet nos torts. Pour moi, c’est vraiment un moyen puissant de susciter l’adhésion des lectrices et des lecteurs. »

Des étudiantes en cours de création littéraire – Photo : Maxime Côté

M. Brousseau a enchaîné en demandant aux écrivaines en herbes d’écrire une accroche d’une phrase. Après les cinq minutes accordées pour l’exercice, tout le monde a lu sa phrase et a pu recevoir des conseils de l’auteur.

Suite à cette courte discussion, les étudiantes ont ensuite rédigé une courte nouvelle d’environ une demi-page, pour ensuite les lire à la classe et recevoir des commentaires constructifs de l’auteur.

Simon Brousseau – Photo : Maxime Côté

Poursuivre l’écriture aux études supérieures

Les participantes de l’atelier ont beaucoup aimé la rencontre et l’ouverture de leur invité, qui a répondu sans gêne à toutes leurs questions.

À la fin de la rencontre, les étudiantes pouvaient s’informer sur le département de littérature française, de traduction et de création de l’Université McGill, où Simon Brousseau est actuellement en résidence d’écriture.

C’est d’ailleurs dans le cadre de cette résidence que s’est organisé cet atelier littéraire.

Deux étudiantes dans le cours de Simon Brousseau

La confession comme genre littéraire, par Simon Brousseau

À mes yeux, la confession est un puissant moteur d’écriture, car elle est fondamentalement ambiguë. En effet, quand on se confesse, on avoue une faute, on insiste sur ce qu’on a fait de mal, mais on est aussi en train de montrer qu’on a conscience de ses torts et qu’on est une personne suffisamment bonne pour admettre ses erreurs. En se confessant, on révèle ainsi nos bassesses, mais aussi notre capacité à s’élever grâce à un examen de conscience.

La confession m’intéresse, car il s’agit d’un mode d’expression qui peut être employé par n’importe qui. Il ne s’agit pas d’une forme strictement littéraire, comme le roman ou la poésie, par exemple. Je crois qu’il s’agit d’une forme particulièrement efficace pour créer une certaine connivence avec le lectorat. D’ailleurs, il n’y a pas si longtemps encore, un grand nombre de Québécois.e.s (catholiques) devaient se confesser régulièrement…

Puisque tout le monde commet des erreurs, puisque tout le monde a des regrets, l’écriture d’une confession peut se faire en supposant que la lectrice ou le lecteur saura se reconnaître dans les fautes dont il est question, même s’il s’agit d’une histoire très personnelle. Autrement dit, la confession écrite favoriserait une expérience empathique où la personne qui lit la confession se reconnaît dans l’expérience d’autrui. Si nos parcours sont évidemment différents, je ne crois pas me tromper en avançant que nous avons tous déjà menti, par exemple.

En écrivant Les fins heureuses, je me questionnais sur la notion de sincérité. Peut-on être entièrement sincère, en écrivant? Quand on se confesse, cherche-t-on simplement à dire la vérité, ou à construire, à l’aide de la rhétorique, une image de soi avantageuse? En réfléchissant à la confession, il ne faut pas oublier qu’une des armes favorites des manipulateurs est d’admettre leurs torts pour ensuite mieux nous berner. D’ailleurs, lorsqu’il est question de sincérité, la personne qui écrit se trouve toujours dans une position inconfortable, car elle utilise elle aussi les mots pour créer des effets (susciter l’enthousiasme, l’admiration, la pitié, etc.) Bref, on pourrait dire que la sincérité d’un texte repose sur un acte de foi, puisque c’est le lectorat qui décide si un texte lui semble sincère ou pas.

9 confessions littéraires à lire

  1. Les confessions de Saint Augustin (397-402)
  2. Les confessions de Jean-Jacques Rousseau (première partie publiée en 1782)
  3. Thomas de Quincey, Confessions d’un mangeur d’opium anglais (1822)
  4. Dostoïevski, Carnets du sous-sol (1864) [confession fictive]
  5. Michel Leiris, L’âge d’homme (1939)
  6. Vladimir Nabokov, Lolita (1955) [confession fictive]
  7. Jean-Paul Sartre, Les mots (1963)
  8. Nelly Arcan, Putain (2001) [autofiction qui relève de la confession]
  9. Pierre Lefebvre, Confessions d’un cassé (2015)

Simon Brousseau, professeur et écrivain

  • Professeur en littérature au niveau collégial au Collège et écrivain en résidence à l’Université McGill, Simon Brousseau s’était fait remarquer en 2015 avec Le singe joyeux dans la tapisserie, un récit inspiré par le suicide d’un ami. Ce récit l’avait mené à une place de finaliste du Prix du récit Radio-Canada.
  • La première publication de l’auteur, Synapses (2016), fut finaliste au Grand Prix du livre de Montréal. En 200 courts paragraphes faits d’une phrase chacun, on s’immerge dans des moments de vie cocasses et touchants. La traduction du livre par Pablo Strauss, parue en anglais en 2019, est en lice pour un Prix littéraire du Gouverneur général.
  • Il a reçu le prix Adrienne-Choquette en 2019 pour Les fins heureuses, prix qui récompense un auteur canadien de langue française pour un recueil de nouvelles.
  • Il a également signé des textes dans les revues À babord!, Liberté, Spirale et Zinc. Il a récemment publié un essai sur l’œuvre de David Foster Wallace chez Nota Bene.