Des étudiants du collégial ont assisté à la projection du court métrage Donc, Socrate est mortel, en présence de son réalisateur Alexandre Isabelle, également professeur de philosophie au Cégep de Lévis. Ils ont eu l’occasion de poser des questions à M. Isabelle sur les différents thèmes abordés dans l’œuvre, notamment le rôle de l’enseignant à l’ère du numérique et des réseaux sociaux, la liberté académique et la pensée critique au cégep, ainsi que l’engagement environnemental.

Les étudiants présents à la projection répondaient à l’invitation de l’organisateur de l’événement, Eric Riendeau-Fontaine, professeur de philosophie au Collège Brébeuf, et de ses collègues.

Nous avons assisté à cette discussion et nous avons rencontré Alexandre Isabelle pour parler de son court métrage, de ses motivations, de l’enseignement et du cinéma.

Engagé et passionné

« Pour moi, ce n’est pas compliqué de faire les deux », nous dit Alexandre Isabelle. Le cinéma et l’enseignement en philosophie sont ses deux passions. Il est même actuellement en année sabbatique pour écrire un long métrage et « retournera à l’enseignement dès l’année prochaine avec grand plaisir », nous confie-t-il en souriant.

Pour M. Isabelle, le choix d’un sujet de film doit être en lien avec quelque chose qu’il souhaite mettre de l’avant et qu’il aime profondément. C’est essentiel. « Je ne suis pas juste quelqu’un qui est habité par la révolte ou par la critique. Il faut vraiment que je choisisse quelque chose que j’aime et pour lequel je serais capable de dire oui », précise-t-il.

Intitulé La partie, son avant-dernier court métrage parlait de la cabane à sucre. Lui-même fils d’un producteur-acériculteur, il souhaitait traiter de ce sujet d’une manière non folklorique.

L’idée de Donc, Socrate est mortel, son dernier film, lui est venue de son expérience personnelle. Il trouvait qu’il manquait « de représentation réaliste et honnête de l’enseignement de la philosophie au cinéma », nous dit-il. « Je suis quelqu’un qui enseigne la philosophie, mais qui s’implique aussi socialement », ajoute-t-il. Il se posait des questions et souhaitait les proposer aux spectateurs à travers son film, comme : « Qu’est-ce qu’enseigner? Qu’est-ce que s’engager? Doit-on franchir ou non les limites? »

Pour un public qui se pose des questions

Dans son processus de création, il ne pense pas – dans un premier temps – au public auquel l’œuvre est destinée. Dans Donc, Socrate est mortel, il a réalisé au fur à mesure qu’il avançait, que le « film allait être un petit peu plus intellectuel et qu’il s’adressait à une partie de moi que je n’avais pas exploitée dans les autres films ».

Ce court métrage s’adresse au départ à un public qui réfléchit comme des professeurs, des étudiants ou des intellectuels, nous dit-il. C’est un film qui propose de la matière que l’on peut réécouter, « un genre de puzzle que tu peux reconstruire ». Mais plus largement, cette œuvre « foisonnante » est destinée à toutes les personnes qui se posent des questions sur la parole, le passage à l’acte et ses limites.

Pour amorcer la discussion et provoquer la réflexion

C’est la première fois qu’il présentait le court métrage dans un collège montréalais, nous dit-il. Il l’avait fait auparavant au cégep Champlain – St. Lawrence et au cégep de Lévis où il enseigne, ainsi que devant des professeurs, en d’autres occasions. Il apprécie beaucoup cet exercice et compte également le faire bientôt au cégep Ahuntsic et à Rimouski.

Il préfère également que le spectateur ne connaisse pas trop les sujets abordés dans le court métrage pour ne pas l’influencer et l’orienter. Contrairement aux questions posées lors des festivals officiels qui sont plutôt axées sur la forme, les étudiants et les professeurs lui posent des questions philosophiques. « Il n’y a pas de filet, il y a un côté vertigineux », nous dit-il, enthousiaste. Il aime découvrir différents publics et « comme aujourd’hui, il a eu de beaux moments. Je me sens privilégié de pouvoir pénétrer dans des lieux et voir discuter les gens entre eux, grâce au film ».

Le rôle de l’enseignant dans un environnement en mutation

Interrogé sur le rôle de l’enseignant au cégep, Alexandre Isabelle fait le constat que l’établissement d’enseignement est devenu une institution clientéliste portée par une logique de croissance. Tournés vers la vente et la réussite à tout prix, les étudiants et les parents « magasinent » un établissement scolaire et des professeurs. Il se demande même si « l’école n’est pas devenue une caverne », au sens de l’allégorie platonicienne. En effet, pour lui, les institutions scolaires, soumises aux lois du marché et aux médias sociaux, doivent protéger leur réputation et leur marque, et ont tendance à se replier sur elles-mêmes.

Dans ce contexte, il nous dit que l’enseignant est sous influence et qu’il doit trouver ses nouvelles limites dans l’expression de son expertise. Il se pose les questions suivantes : L’enseignement doit-il se faire en acte (philosophie de Diogène) plutôt qu’en parole (philosophie de Socrate)? Est-ce que l’enseignant peut s’émanciper et être critique? Jusqu’où peut-il le faire? Avec l’accord de son syndicat et de sa hiérarchie?

Interrogé sur le choix du caractère sympathique de la professeure, il répond que ce n’est pas en ces termes qu’il a construit ce personnage. Il a voulu montrer que l’enseignement de la philosophie n’est pas ennuyant en choisissant une « femme enthousiaste, intègre et intellectuelle ».

Une initiative à renouveler, favoriser l’ouverture et la collaboration entre les cégeps

Alexandre Isabelle est aussi à l’origine de Cinéphilo, une activité parascolaire née en 2007 au cégep de Lévis qui permet de discuter après la diffusion d’œuvres cinématographiques.

C’est pourquoi Eric Riendeau-Fontaine, professeur de philosophie au Collège Brébeuf, qui connaissait M. Isabelle dans le cadre du concours Philosopher, lui a demandé de venir présenter son court métrage devant des étudiants.

M. Riendeau-Fontaine souhaite renouveler ce genre d’exercice et faire plus souvent appel à ce type de matériel pédagogique. Il a d’ailleurs fait acheter le court métrage par la bibliothèque du collégial pour l’ajouter au catalogue Regard, afin que les autres étudiants et tous les membres du personnel puissent le regarder.

Lui-même issu d’un milieu très modeste et de banlieue, il est conscient du fait que dans la métropole, on est privilégié. En région, le cégep se trouve souvent au cœur de l’activité avec entre autres ses installations sportives, sa bibliothèque et sa salle de spectacles.

Pour lui, qu’ils soient publics ou privés, les collèges sont non seulement un lieu d’apprentissage mais aussi un lieu de réflexion et de vie intellectuelle. Il souhaite que « ce genre d’initiative heureuse » crée des liens et une communauté. Pour lui, c’est le monde préuniversitaire et universitaire et donc celui de la pensée qui en profite.

« Le monde collégial est d’une richesse incroyable depuis 53 ans au Québec. Il faut que l’on puisse encore plus miser dessus. D’autant plus que face aux nombreux défis qui sont les nôtres, comme la crise climatique et la révolution numérique, le cégep peut apporter tant et tellement », conclut Eric Riendeau-Fontaine.


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