Ex-entraîneur de basketball, avocat, entrepreneur social, cofondateur et directeur général de l’organisme Pour 3 Points, Fabrice Vil est diplômé du Collège Brébeuf en 2003. Il est venu rencontrer les élèves de 3e secondaire le 20 mai au Collège, à la salle Jacques-Maurice. Cette conférence s’est tenue dans le cadre de la Journée des anciens et anciennes, organisée par l’Association des anciens et anciennes du Collège Jean-de-Brébeuf (ACJB).

En faisant preuve d’une grande générosité et de sincérité, il a partagé avec les jeunes des anecdotes sur sa vie au Collège et son expérience professionnelle. Il a aussi et surtout partagé avec les élèves les événements déterminants au secondaire qui ont été de véritables leçons de vie et qui lui ont permis de se façonner en tant que personne. Il a également répondu aux questions des élèves.

Lors de cette conférence, Fabrice Vil a sensibilisé les élèves sur l’importance :

  • D’être conscient de la chance que l’on a quand on vit et que l’on est éduqué dans un environnement privilégié;
  • D’être conscient qu’il existe des classes sociales plus ou moins avantagées sur le plan socio-économique;
  • De s’engager dans la société et de se rendre utile auprès des autres;
  • De comprendre les règles du jeu, pour pouvoir, quand c’est nécessaire et réfléchi, manifester et les transgresser;
  • D’embrasser la mixité et de se confronter à d’autres environnements.

Être conscient de ses chances dans la vie et s’engager

Fabrice Vil a grandi dans le quartier d’Anjou à Montréal, « de classe moyenne avec des poches de pauvreté et proche de quartiers défavorisés », nous dit-il. Son père était ingénieur et sa mère infirmière. Il a rapidement pu observer les différences entre le quartier dans lequel il vivait et celui des établissements scolaires de l’ouest de l’île qu’il fréquentait, comme le Collège Brébeuf. Il a donc connu cette mixité et a navigué à travers ces différents milieux.

Il ajoute qu’« il existe des classes sociales plus avantagées ou désavantagées sur le plan socio-économique » que l’on retrouve « en milieu scolaire et qui se perpétuent dans le milieu professionnel ». Il poursuit : « Le profil et la démographie des élèves qui fréquentent le Collège Brébeuf ne sont pas les mêmes que ceux des élèves des écoles secondaires de Saint-Michel ou de Montréal-Nord. Et cela, c’est une injustice profonde dans nos sociétés. »  

C’est pourquoi il rappelle aux élèves qu’il est fondamental de prendre conscience de la chance que l’on a quand on vit et que l’on est éduqué dans un milieu privilégié. Mais si l’on se contente de s’instruire, « de respecter les règles et de suivre sa routine métro, boulot, dodo… on se trompe », dit-il avec gravité.

Il souligne aux élèves que cette chance doit plutôt servir aux autres et à s’engager dans le monde qui nous entoure, ainsi qu’à changer les choses et les règles du jeu. En effet, de nombreux défis nous attendent, comme « les changements climatiques et l’inégalité des richesses entre les différentes classes sociales », poursuit-il.

Et en même temps, il est important de s’engager en politique et de faire adopter des lois, complète-t-il en répondant à la question d’un élève. « Il faut poser un regard critique parce que si certaines règles en vigueur sont bonnes, comme le fait de payer ses impôts et de s’arrêter au feu rouge, d’autres doivent être remises en question. » Il donne l’exemple du programme des CPE « qui a été rendu possible grâce à un engagement politique ».

« J’ai toujours su que le Collège accueillait des jeunes avec énormément de talent. Et vous en faites partie. […] On vous forme pour que vous soyez capable de faire des choses intéressantes dans vos vies, pas juste dans un avenir lointain, mais aussi dans l’immédiat. »

Fabrice Vil

C’est pourquoi Fabrice Vil a fait le choix de quitter son métier d’avocat pour se consacrer à temps plein à son organisme Pour 3 Points. Ce dernier a pour objectif de transformer des entraîneurs sportifs en entraîneurs de vie afin d’aider de jeunes athlètes en milieu défavorisé à acquérir « les habiletés requises pour réussir à l’école et dans la vie ».

« J’ai mis beaucoup de temps à comprendre ce que je voulais faire dans la vie. » Il a réalisé qu’il était avant tout un entrepreneur. « Et tout entrepreneur doit savoir prendre des risques au service de son idée », conclut-il.

De l’importance d’un entraîneur et de la pratique sportive

Fabrice Vil est allé en secondaire au Collège Brébeuf parce que ses parents l’encourageaient à faire comme son cousin, mais aussi parce qu’il y avait un programme de basketball, un sport « que j’adorais depuis ma 4e année du primaire quand j’étais à l’Académie Michèle-Provost où il y avait un terrain de basketball dans la cour de récréation », nous dit-il.

Ce sport ne l’a depuis lors jamais quitté, en plus d’avoir eu un grand impact dans sa vie. « Bon nombre de mes apprentissages de vie ont été accomplis dans le contexte de la pratique sportive », nous dit-il. Il est ensuite devenu entraîneur de basketball au Collège Brébeuf tout en poursuivant ses études.

C’est au Collège qu’il a rencontré Didier Vandycke, professeur d’éducation physique et responsable du programme de basketball. Cet entraîneur charismatique « a eu un rôle significatif dans ma vie », nous dit Fabrice Vil. « Il nous expliquait déjà comment la sélection des joueurs ne reposait pas uniquement sur le talent, mais tenait aussi compte de ceux qui ne ménageaient pas leurs efforts, qui encourageaient les autres et qui écoutaient les consignes », précise-t-il.

« Je me suis rendu compte à l’époque que même si je n’étais pas talentueux, j’ai fait partie de l’équipe parce que je travaillais fort et que j’écoutais les consignes. »

Fabrice Vil

« Comme j’ai moi-même été entraineur de basketball, mon parcours m’a permis de bien saisir l’importance des entraineurs dans la vie des jeunes. Cela vaut aussi pour les professeurs, les animateurs, les moniteurs de camps, les adultes qui ont un impact auprès des jeunes. J’y crois beaucoup! Les adultes qui sont autour de vous ont des rôles importants dans vos vies, en complément de vos parents », dit Fabrice Vil en répondant à une question d’un élève.

De plus, « on peut établir des liens avec ce qui se passe dans la vie et ce qui se passe dans la vie d’une microsociété qu’est une équipe sportive », nous explique-t-il. Pour lui, une éducation complète ne tient pas seulement « au fait de savoir lire, compter et calculer, mais aussi d’être capable de faire des efforts dans l’adversité, de rebondir après une défaite, d’encourager quelqu’un, de persévérer et de continuer à jouer malgré un mauvais jugement de l’arbitre ».

C’est pourquoi Fabrice Vil incite fortement les élèves, en dehors du parcours académique, à pratiquer un sport, une activité artistique ou musicale et à faire du bénévolat. Pour lui, c’est fondamental de « trouver des activités qui permettent de développer des habiletés qui se développent moins en salle de classe ».

Enfin, Fabrice Vil tient quand même à préciser qu’en 1re secondaire, il était petit de taille, timide, introverti et gêné. Et c’est toujours le cas aujourd’hui, alors que par ailleurs il arrive à s’exprimer en public très naturellement.

« Parfois, briser une règle n’est pas la fin du monde. »

Au secondaire, Fabrice Vil était très respectueux des règles. C’était très important pour lui. Cela faisait partie de sa personnalité; ses « parents haïtiens étant très sévères dans leur éducation », ajoute-t-il.

Un jour, pendant un cours, il mange discrètement des chipsalors que c’est interdit en classe, tout en pensant que son enseignante très stricte ne l’a pas vu. Or, cette dernière l’interpelle et lui demande de lui remettre le sac de chips. Terrorisé, Fabrice retourne s’asseoir, en pensant « littéralement que sa vie allait s’arrêter là, car il avait transgressé une règle », se confie-t-il.

Quelques semaines plus tard, tout juste avant la rencontre des parents au Collège, il décide de le dire à sa mère dans la voiture. Contrairement à ce qu’il pensait, celle-ci ne réagit pas vraiment à son aveu. Le soir même, de retour à la maison, elle n’évoque même pas l’événement, mais lui rapporte que les enseignants trouvent que Fabrice ne s’exprime pas assez, qu’ils aimeraient l’entendre et qu’il soit moins gêné. L’enseignante de français ne se souvient même plus du sac de chips et a même ri lorsque la mère de Fabrice en a fait mention.

Avec le recul, cet événement marquant lui fait dire : « Comme humain, comme enfant et comme adolescent, on agit en fonction des règles. On s’en invente aussi beaucoup autour de nous. Et puis on pense que si on les transgresse, c’est la fin du monde. Agir d’une manière autonome dans une société ou dans un milieu, c’est aussi être capable de dire : oui, il existe des règles, mais à l’occasion, jouer avec celles-ci n’est pas aussi grave que l’on pense. » Il peut même être « pertinent de transgresser une règle », continue-t-il. Parfois, « certaines ne conviennent pas sans la société », comme ce fut récemment le cas du dernier couvre-feu qui « ne faisait pas l’unanimité dans la société et violait les droits fondamentaux de plusieurs personnes, dont les personnes itinérantes ».

« La clandestinité pour se protéger »

« Nous avons parfois des obligations qui ne sont pas tout fait pertinentes », nous dit Fabrice Vil.  Et comme élève, il s’est longtemps culpabilisé par rapport à cela. Il s’est mis à refuser le principe des « devoirs ».

En effet, il a toujours été un élève qui comprenait vite à l’école et qui assimilait bien la matière. Il ne voyait pas la nécessité de faire ses devoirs. Pour lui, le but de l’école c’était d’apprendre. En 5année de primaire, il lui est arrivé une fois de ne pas faire ses devoirs et il s’est rendu compte que ce n’était pas la fin du monde, poursuit-il. Il a continué durant tout son secondaire à parfois ne pas être assidu dans la rédaction de ses devoirs. Il a donc un peu vécu dans la clandestinité en ne respectant pas la règle qui lui imposait de faire systématiquement ses devoirs. Dans son esprit, cette règle n’était pas nécessaire puisqu’il comprenait le cours sans faire ses devoirs. 

« Dans certaines situations, il est parfois fondé de déjouer les règles du jeu. Penser à ses besoins et à ce qui nous convient plutôt que de penser à la règle me semble éminemment important. »

Fabrice Vil

Jusqu’à encore tout récemment, il se sentait coupable de n’avoir parfois pas fait ses devoirs. Parce qu’il avait tellement appris à respecter les règles.

S’affirmer et manifester

« Les sciences étaient obligatoires. Pour la 5e secondaire, il fallait un choix d’options. Mon père, ingénieur, voulait absolument que je fasse mes sciences. Et moi, je ne voulais pas. Mais dire non à mon père n’était pas envisageable », nous dit Fabrice Vil.

Sans motivation, il fit malgré tout ses sciences en 5e secondaire et, en redoublant d’efforts, il passa en première année en Sciences de la santé au Collège Brébeuf. Dès la première semaine de cours, il se rendit compte qu’il ne voulait pas étudier dans ce domaine et décida « de faire la grève de la parole » et de ne pas parler à son père, même si au fond de lui-même, il était terrorisé. Au cinquième jour de son mutisme, alors qu’il faisait la vaisselle, son père lui dit : « Tu veux aller en sciences humaines? » Fabrice lui hocha oui de la tête. « Vas-y! », lui rétorqua son père. Le lendemain, il alla voir son aide pédagogique individuelle pour changer de programme et s’inscrire en sciences humaines. « Cela a sauvé ma vie », dit-il d’un ton affirmatif.

Il ne savait pas à l’époque qu’il exerçait un moyen de pression et qu’il faisait l’apprentissage de la manifestation.

De même, quand il a voulu s’inscrire aux HEC, ses parents s’y sont opposés. Il a dû négocier et s’inscrire en droit. « Ce n’est jamais terminé », nous dit-il. Il y a toujours à un moment où il faut s’affirmer, précise Fabrice Vil. Et le même phénomène s’est produit quand il a quitté la pratique du droit pour se consacrer à plein temps à son organisme Pour 3 Points.

Plus il agissait de la sorte, plus « il se sentait capable de s’affirmer », nous dit-il avec fierté. « Il est important de manifester. » Il cite l’exemple des élèves qui ont récemment protesté dans certaines écoles à propos du code vestimentaire en milieu scolaire ou encore celui de la militante écologiste suédoise Greta Thunberg qui est à l’initiative d’un mouvement mondial.

« Il y a des moments où l’on croit en quelque chose de tellement fort, qu’il devient pertinent de se battre pour cette cause. »

Fabrice Vil

Enfin, « manifester son désaccord et communiquer son opinion ne se fait pas de n’importe quelle manière », répond-il à une élève. « L’idée ce n’est pas de faire n’importe quoi n’importe comment. C’est de respecter vos valeurs qui sont en voie de prendre forme et de les identifier. »

« Je crois fermement que quand quelque chose ne fonctionne pas dans un contexte donné où est présente une autorité (école, parents, société), le point de départ consiste à présumer de la bonne foi et de l’intention de l’autre et d’avoir un échange sérieux, raisonné, robuste et solide. Cela me parait essentiel. Mais cela ne garantit pas pour autant que la règle va changer », nous dit-il.

C’est pourquoi il faut parfois « avoir recours à des moyens de pression, d’intensité variable, pour appuyer les arguments, comme dans le cas des grèves, par exemple. Et là, il faut changer les règles du jeu, car il y a quelque chose d’important qui se passe. Car le fait de s’affirmer présente un risque. Mais dans tous les cas, je suis contre la violence et l’agressivité. C’est fondamental », précise-t-il!

S’exposer à d’autres environnements

Fabrice raconte que lorsqu’il était entraîneur de basketball pour les élèves de 3e secondaire, il est arrivé un événement important avec l’un de ses joueurs. L’équipe du Collège Brébeuf jouait contre celle de l’école secondaire Georges-Vanier, située au nord Montréal. Cette dernière gagne très largement le match. Le lendemain, au déjeuner, un des joueurs de Brébeuf très déçu, revient sur le match. En parlant d’un très bon joueur de l’équipe adverse, il dit d’un ton présomptueux : « Ce n’est pas grave, plus tard, c’est lui qui lavera mes souliers! ».

En tant qu’entraîneur, Fabrice Vil, a immédiatement dû avoir une conversation avec ce joueur et sur les chances qu’il avait dans sa vie en comparaison avec le milieu dans lequel vivait l’autre jeune. Ce « commentaire était le reflet d’une méconnaissance profonde de la dynamique de la société », nous dit-il. Ce jeune habitait à Ville Mont-Royal et ne fréquentait pas d’autres milieux que le sien. Il n’avait pas été sensibilisé à d’autres classes socio-économiques. Personne ne lui avait par ailleurs dit que ce genre de remarque était inacceptable.

Il ajoute qu’en 3e secondaire, on doit « assumer ses responsabilités, prendre conscience des inégalités et respecter les autres » pour que plus tard, en tant qu’adulte, on puisse participer au changement.

« Si vous fréquentez uniquement un seul quartier, c’est souvent parce que c’est celui où vous avez grandi. Mais plus vous vieillissez, plus il est fondamental de vous exposer à d’autres environnements. Il faut donc trouver des occasions au travers des activités parascolaires, sportives ou bénévoles qui vous permettront d’élargir vos horizons. Vous développerez donc naturellement une sensibilité qui vous permettra de respecter les autres », conclut-il.

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La Journée des anciens et anciennes a été créée, il y a trois ans, dans le but d’offrir aux étudiants.es de Brébeuf un événement annuel rassembleur. L’objectif de cette journée est de faire connaître l’ACJB, les valeurs du Collège et permettre aux étudiants.e.s d’échanger avec des diplômés.e.s œuvrant dans différents domaines. Au cours de l’année, l’ACJB a offert une Journée des anciens et anciennes pour chaque niveau scolaire, de la 1re secondaire au collégial. Les étudiants.e.s ont donc eu la chance d’interagir avec des conférenciers et de leur poser des questions.